Thema 8.32

Ou la face cachée de tout un Thème…

GREFFE DE COEUR
Il arrive parfois que les politiques de groupe donnent naissance à des automobiles inattendues ou extraordinaires. L’union entre Lancia et Ferrari avait déjà enfanté un monstre sacré du Rallye, la fabuleuse Lancia Stratos avec son V6 Dino. En 1986, les dirigeants du groupe en quête d’image pour Lancia rééditent une greffe de coeur exceptionnelle en dotant la bourgeoise Thema d’un moteur de Ferrari ! Un mariage de passion qui va faire plus de bruit que de ventes sur le segment des berlines hautes performances de cette deuxième moitié des années 80. Et pourtant, avec comme prescripteur Enzo Ferrari lui-même, pour qui elle sera la dernière voiture officielle, il semblait difficile de faire meilleur marketing…

Lancia By Ferrari pour le plaisir des yeux et des oreilles… Malheureusement pas en Français

Présentée en 1984, la Lancia Thema est la berline qui repositionne la marque sur le haut de gamme. Elle est le résultat d’une large coopération entre les constructeurs Fiat, Lancia, Saab et Alfa Romeo, baptisée « projet Tipo 4 ». Le partenariat industriel a ainsi donné naissance aux Lancia Thema, Fiat Croma, Saab 9000 et enfin Alfa Romeo 164. La palette de motorisations correspond à ce qu’on attend d’une routière, du 2L injection de 120 ch au 2L Turbo de 165 ch en passant même par un V6 (PRV !) de 150 ch. En complément de la berline, une carrosserie break signée Pininfarina est proposée aux gros voyageurs. Malgré tout, la belle italienne manque d’une motorisation vraiment prestigieuse pour se mesurer aux fleurons allemands dotés de 6 ou 8 cylindres autrement plus puissants que ce bon vieux PRV. Or tout comme Ferrari, Lancia a été intégré au groupe Fiat en 1969, ce qui permet d’imaginer toute sorte de dérivé en cherchant dans une banque d’organes pour le moins prestigieuse. Ainsi, l’idée d’utiliser le V8 Ferrari, suggérée par l’importateur français André Chardonnet, s’impose rapidement et au salon de Turin 1986, la Lancia Thema 8.32 (pour 8 cylindres et 32 soupapes) bouscule la hiérarchie en place parmi les berlines puissantes.

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DESIGN
D’un style classique, simple et élégant, dû au crayon du grand designer Giorgetto Giugiaro, la Lancia Thema 8.32 affiche une ligne assez quelconque en comparaison de sa mécanique. De loin, on pourrait presque la confondre dans sa première série avec sa cousine la Fiat Croma. Ce qui n’est pas vraiment un compliment. Certes, ses lignes cubiques sont typiques des années 80 mais comparée à certaines de ses contemporaines ce n’est finalement pas celle qui a le plus souffert. Pour une italienne, elle n’use que peu de ses charmes esthétiques et c’est peut-être cette sobriété qui lui profite aujourd’hui. Les détails de style qui identifient cette version peu ordinaire sont rares. Les designers ont eu la bonne idée de ne point trop en faire malgré les ambitions élevées de ce beau meuble turinois au Cx de 0,32. Sur la calandre chromée un petit écusson « 8.32 », sur fond jaune pour rappeller les origines de Maranello. Ensuite, la Thema 8.32 s’offre des jantes à 5 branches, autre trait de style propre aux Ferrari des années 80-90, en 15″ de diamètre, et un petit liseret adhésif jaune et bleu sur les flancs et le coffre. Enfin, la touche d’exotisme par excellence arrive lorsqu’on découvre sur le couvercle de malle un petit aileron rétractable qui se commande depuis l’habitacle. Il ajoute 30 Kg d’appui sur l’arrière à 220 km/h, en supprimant quasiment toute la déportance ! A partir de là, le décor est planté : la belle italienne fait tout pour cacher son jeu mais ne peut renier son caractère exceptionnel. D’ailleurs, elle ne pouvait s’habiller que de couleurs sombres et métalisées : rouge, noir, bleu « Francia » foncé, gris foncé et plus rare, vert foncé. Mais le plus visible et remarquable est certainement l’aménagement intérieur spécifique à la cette Thema 8.32. Le cuir fauve Poltrona Frau (option en remplacement de l’Alcantara) règne en maître et emplit l’habitacle, relevé par du bois précieux (ronce de noyer) sur la planche de bord, par ailleurs très complète en manomètres, la console centrale et les habillages de portes. Les plastiques peu flâteurs de cette époque sont quasiment bannis, pour notre plus grand plaisir. Pour un peu, on se croirait à bord d’une anglaise de haut standing, c’est superbe. Les sièges moelleux (et manquant de maintien) apaisent les velléités sportives du conducteur. La dotation de série des équipements n’est pas très généreuse pour une auto de cette catégorie (sièges, vitres et rétros électriques ) même si elle récele quelques originalités comme des appuie-tête arrière qui s’abaissent électriquement quand on enclenche la marche arrière ! Mais la liste des options était bien garnie (toit ouvrant électrique, cuir intégral, climatisation, banquette arrière électrique et chauffante, sièges avant chauffants et à mémoire, téléphone, et télévision arrière…) pour faire de cette Thema une vraie limousine. Cette « Ferrari 4 portes » comme la surnomment certains, unique en son genre, justifiait un tarif plutôt élevé pour l’époque (presque le double d’une Alfa 164 V6 aussi performante) en embarquant un luxe et un raffinement insoupçonnables.


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MOTEUR

Dotée du V8 2.9L à 32 soupapes apparu sur la Ferrari 308 QV (quattrovalvole), la Lancia Thema doit s’en remettre à son seul train avant pour passer la fougue des purs-sangs de Maranello et décrocher ainsi le titre de traction avant la plus puissante du monde. Pourtant, il n’a pas été inutile de « dégonfler » un peu le fabuleux V8 qui rentre ici au chausse-pied. Contrairement à ce qui figure sur le couvre-culasse sur fond rouge, le moteur n’est pas un « Lancia by Ferrari », mais exactement l’inverse. En effet, le V8 Ferrari a été modifié par Lancia pour le rendre plus coupleux et moins brutal, ce qui convient mieux au caractère d’une lourde et grande routière qu’à celui d’une berlinette agile et légère. Le vilebrequin est différent avec des manetons décalés à 90° et non plus 180°. La puissance tombe à 215 ch à 6750 tr/mn au lieu de 240 ch à 7000 tr/mn. En revanche, le couple est porté à 29 mkg contre 24.5 mkg sur la 308 QV. L’injection est confiée à Bosch et l’allumage est le Microplex de Magneti Marelli. A l’usage on peut dire qu’il y en a encore presque trop, vu les difficultés à tout passer proprement sur le mouillé sans condamner la fonction première du volant : tourner. Mais il faut bien reconnaître que malgré ce désagrément, retrouver la musique du Maestro Enzo à bord d’une banale berline est totalement magique ! On ne se lasse pas de faire prendre des tours à cette mécanique d’orfèvre très linéaire et de profiter de sa grande souplesse. La boîte à 5 rapports s’y montre bien étagée et agréable à manier. Malgré tout ce que pourrait laisser supposer le bouillant coeur d’aluminium qui lui donne vie, les performances de la Thema 8.32 sont comparables à celles de la Renault 25 V6 turbo, autre grande routière à traction avant. Face à la concurrence allemande, la Thema 8.32 se trouve au niveau d’une M535i animée par un vaillant 6 cylindres atmosphérique ou d’une Audi V8. Les chronos ne reflétant pas à eux seuls le caractère d’une voiture, ils indiquent toutefois à qui l’on a affaire. Le 0 à 100 km/h a été mesuré entre 7 et 8″, le 1000 m DA autour de 28″. Pas spécialement impressionnant, mais tout de même respectable pour un salon roulant de 1400 Kg. Et il ne faut pas négliger le fait qu’en l’absence d’antipatinage, une partie de la puissance s’évapore sur les premiers rapports… La consommation est à la hauteur du prestige imposé par le blason Ferrari et atteint sans trop forcer les 20L/100 km, si l’on joue le bel canto avec les 8 cylindres, et plus raisonnablement entre 10 et 12 L en usage normal. Mais que voulez-vous, on y résiste difficilement ! Sa sonorité envoûtante est bien présente dans l’habitacle, mais largement supportable. Une chose est sûre, l’autoradio peut tomber en panne…

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CHASSIS
Le châssis de la Thema est modifié en conséquence pour supporter le poids du V8 (62% du poids est sur l’essieu avant) et notament par de larges triangles sur le McPherson complété d’une barre antiroulis avant et arrière. Même traitement pour les freins, empruntés à la Delta Integrale, complétés par un ABS Bosch. La sensation à la pédale affiche une certaine mollesse pas très rassurante mais les distances d’arrêt sont dans la moyenne. Un peu critiqué sur les premiers modèles par son trop grand confort pénalisant le dynamisme, l’amortissement de la Lancia Thema 8.32 peut recevoir à partir de la série 2 une suspension à amortissement variable Boge, piloté hydrauliquement. Sophistiqué, ce système s’inspire des créations de Citroën en la matière. 5 capteurs calculent l’amortissement en fonction de divers paramètres tels que l’accélération verticale, l’angle de braquage, la vitesse de rotation du volant, le freinage et la vitesse de la voiture. Au choix on peut préférer un mode « Sport » ou « Automatic », sachant que ce dernier peut basculer tout seul en mode Sport momentanément si la conduite l’exige. La direction à assistance variable fait aussi partie de la dotation standard et isole le volant de remontées de couple désagréables. Excepté sur route mouillée, la Thema 8.32 dotée de la suspension pilotée offre un comportement satisfaisant mais peu sportif. La position de conduite n’est pas idéale non plus, mais le confort de roulement est tel que l’on éprouvera de la fatigue qu’après de nombreux kilomètres au volant. Le mélomane ne se lassant que difficilement de la musique du V8, il conviendra de s’imposer des pauses, lors des ravitaillements en essence par exemple ! Une fois que l’on assimilé l’idée qu’il s’agit plus d’une autoroutière que d’une GTI dévoreuse de lacets en montagne, la Lancia Thema 8.32 se révèle être une compagne très attachante.

Le film Officiel du lancement

ACHETER UNE LANCIA THEMA 8.32 

English: Lancia Thema Ferrari 8.32
English: Lancia Thema Ferrari 8.32 (Photo credit: Wikipedia)

4000 exemplaires produits et seulement 203 pour la France ! La Lancia Thema 8.32 fait incontestablement partie des collectors incontournables des 80’s. En 1990, une deuxième série est présentée. Elle comporte quelques différences esthétiques (calandre, phares, rétros, bas de caisses) et son moteur descend à 205 ch après passage au catalyseur. Cette version sera produite jusqu’en 1992, année d’arrêt du modèle. Pour l’anecdote, une série spéciale réservée au marché allemand fût réalisée à 64 exemplaires. Sa peinture est rouge Ferrari et elle possède une plaque numérotée près du levier de vitesse. Pour en savoir plus sur l’achat de ces raretés, nous avons donc demandé son avis à un professionnel des voitures d’exception. En effet, avec des tarifs allant de 5000 à 15000 euros, mieux vaut savoir où l’on met les pieds avant de craquer pour une Lancia-Ferrari… Le spécialiste suisse Bahman nous répond : « L’attrait du moment : les Youngtimers des 80’s ! Toutes ces autos que nous avons vu rouler et dont nous avons rêvé il y a quelques années ont le vent en poupe sur le marché de la voiture de collection. Et pour cause, les prix sont pour le moment encore alléchants et ce sont devenus des véhicules plutôt rares, désormais complètement décalés dans la circulation. La Lancia Thema 8.32 est encore dans l’ombre. Déjà peu diffusée et exclusive à l’époque, elle souffre aujourd’hui du manque d’image de la marque Lancia, d’autant plus que l’affiliation Ferrari de sa mécanique fait peur quant à l’entretien et au prix des pièces… et à juste titre puisque certaines, spécifiques, à l’image de l’échappement, sont hors de prix et difficiles à trouver. On veillera donc particulièrement à l’entretien et au soin général apporté à l’engin! On vérifiera le carnet de services, particulièrement au respect du changement de la courroie de distribution. L’état des pièces mécaniques spécifiques est également à contrôler (échappement, embrayage, boite etc.). La base de la mécanique reste cependant robuste, d’autant qu’après toutes ces années, elles affichent pour certaines bien plus de 100.000 km. On fera attention que tous les gadgets couteux à réparer fonctionnent (aileron du coffre, appuis-tete arrières electriques etc.) et que le tableau de bord ne se tranforme pas en sapin de Noël après démarrage (il y en a des voyants…). Le cuir Poltrona Frau est d’excellente qualité, on déplorera seulement le très mauvais vieillissement de celui-ci autour du tableau de bord (faiblesse chronique). Il ne reste « plus qu’à » sélectionner une voiture homogème (100% d’origine et à l’entretien suivi) pour pouvoir rouler dans une berline sportive, noble avec un V8 Ferrari sous le capot et une finition splendide au prix de la Clio diesel du voisin… »

:: CONCLUSION
Noblesse mécanique, richesse de l’équipement, finition soignée, il aura finalement manqué peu de choses pour faire de la Lancia Thema 8.32 une référence du haut de gamme. A vrai dire, sa réputation d’italienne exigeante et coûteuse en entretien auront suffit à la faire sombrer dans l’anonymat. Toutefois, il n’est pas trop tard, bien au contraire, pour redécouvrir le charme peu commun de cette automobile d’exception. Pas fondamentalement sportive mais très performante, elle s’adresse avant tout aux collectionneurs avertis…

Texte: Sébastien DUPUIS

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